Un dimanche pour Le goût du temps

Pour l'ouverture exceptionnelle de la Galerie, dimanche 11 mai, l'après-midi fut ponctuée de lectures de haikus. Jean-Noël Cuénod, y a dit des haikus tirés de son recueil "Le Goût du Temps" (Prix Festival Rilke 2012 ) tandis que  Christine Zwingmann faisait des apparitions chorégraphiques.

Le recueil "Le goût  du temps"  (éditions Samizdat, Genève, 2012) est présenté  en permanence à la galerie avec, pour chaque exemplaire de l'édition de tête, signé et numéroté par les auteurs, un dessin original de Philippe Rillon, au lavis d'encre de Chine (prix: 90€).

L'édition originale est également proposée à la vente (prix: 20€).

 

Préface

Le goût du temps

Kusatao, critique littéraire japonais, écrivait en 1946 que le haïku, « poème de la concentration, de la chose concrète, de l'allusion » n'a pas d'équivalent dans la poésie occidentale et est donc « le poème du symbole propre au Japon ». Certes, la culture occidentale ne nous incline pas à penser que l'on peut dire beaucoup avec peu. Pourtant, nombre de poètes en France et ailleurs, ont été inspirés et se sont nourris de la découverte de ces poèmes de forme courte, qui n'ont « l'air de rien. » Le haïku en langue française a une longue histoire :

Dans le sillage du japonisme, en 1905, paraissait le premier recueil de haïkus français, « Au fil de l'eau » de Paul-Louis Couchoud.

Au début de l'ère Meïji (fin du 19e siècle), suite à l'ouverture du Japon, des estampes arrivèrent en France en grande quantité. Ces « images du monde flottant » ont subjugué écrivains, peintres et poètes qui se sont mis à les collectionner avec ferveur sans toujours bien en comprendre la nature. Mais, malgré certains malentendus, ils en ont retenu un traitement de l'espace et du temps bousculant la tradition picturale issue du classicisme. La composition asymétrique, l'introduction du mouvement et de l'éphémère, par exemple, sont en peinture l'un des ferments de la modernité. De la même façon, les haïkus nous sortent de nos vieilles lunes poétiques.

La forme brève (17 syllabes) et l'emploi constant de l'impair (3 vers contenant respectivement 5, 7, 5 pieds ) appellent le suspens, l'ellipse, l'allusion, la suggestion. Déjà Verlaine, vers 1880, dans les injonctions de « Art Poétique » au grand scandale de certains de ses contemporains, s'insurgeait contre la lourdeur et les excès rhétoriques en poésie:

« ...Et pour cela préfère l'impair

Plus vague et plus soluble dans l'air... »

et, plus loin:

« ...Rien de plus cher que la chanson grise

Où l'Indécis au Précis se joint... »

Le haïku d'abord est une façon de voir le monde qui abolit les frontières entre les êtres et les choses. Tout communique, tout communie. Le visible et le voyant se confondent.

En se pliant à la forme du haïku, Jean-Noël Cuénod en a pénétré la nature profonde. Loin de tout exotisme facile, il y a trouvé un chemin singulier. Écrire des haïkus, en effet, c'est se dé-router, c'est couper à travers champs et forêts afin de cueillir l'énergie du monde. Alors, on prend le risque de ne plus savoir marcher sur les chemins tracés. Jean-Noël nous engage dans cette aventure:

« Ouvrir la forêt

Et courir dans les saveurs

Fouetté de pluie »

Ses haïkus vont au-delà de l'essence des choses, trop définitive, trop immobile. Ils révèlent la dynamique du monde animé d'un érotisme  transcendant l'humain. La parole et le silence s'y accouplent, l'intime et le cosmique s'y allient dans le rythme des saisons. Et cette circularité devient spirale, entrainant l'univers entier dans une danse de vie et de mort .

« Feux de la Saint-Jean

Qui crépitent de rires

Et saluent la mort »

En contrepoint des poèmes, viennent les lavis de Philippe Rillon. Comme un caillou, habilement lancé à la surface de l'eau, ricoche et provoque des vagues concentriques, les dessins amplifient l'onde de choc du poème et propagent tout un sillage d'émotions . De même que le haïku, le lavis se pratique dans l'immédiateté de l'instant. Ici et maintenant, l'encre, l'eau et le papier, sous la pression du pinceau et sans repentir possible, cherchent l'accord fragile, toujours au bord de la dissolution.

Ainsi, poèmes et lavis nous plongent dans l'immanence absolue en nous invitant à laisser au repos nos facultés raisonnantes. « Le Goût du Temps » nous fait mordre dans la chair du monde .

Marianne Rillon , Janvier 2012 .

 

Ce fut aussi l'occasion de voir ou revoir l'exposition "Mythologie intérieures":

 

 


Quelques images...

Christine Zwingmann faisait danser la "Parure de chamane" réalisé pour elle par Philippe Rillon en un dialogue silencieux avec les textes de Jean-Noël Cuénod et les  oeuvres exposées...