Singularités plurielles

(Deux artistes singuliers dans l’art d’aujourd’hui.)

23 Octobre - 30 Novemmbre 2013

Marc PRIALNIC – Jean-Paul SOUVRAZ

Il peut sembler paradoxal  de présenter dans une même exposition les œuvres de deux artistes aussi incompatibles que Marc Prialnic et Jean Paul Souvraz.  Chacun d’eux a creusé sa singularité en une œuvre si unique, que ses contours sont désormais étrangers l’un à l’autre comme ceux d’îles situées aux antipodes de l’archipel que serait devenu l’art aujourd’hui. L’imaginaire, l’art ne craignent ni la contradiction ni les paradoxes. Nous avons donc délibérément choisi le contraste de ces deux expressions singulières:

  • Quand Souvraz exalte la couleur, Prialnic nous plonge dans l’ombre du « dedans »…
  • Quand Souvraz nous entraine dans un truculent carnaval, Prialnic invoque les fantômes du passé…
  • Quand Souvraz met en scène d’improbables créatures, mi- humaines mi- animales, Prialnic invoque inlassablement une énigmatique figure sans visage…

L’art d’aujourd’hui n’est plus délimité par des courants dans lesquels la critique inscrit les œuvres. Le temps des avant-gardes est révolu. Chaque artiste désormais invente forme et contenu de sa propre singularité. Unique en son genre, il doit ne ressembler à aucun autre. Ainsi en va-t-il de Prialnic et Souvraz. Leur singulière authenticité, seule et paradoxalement, nous a permis de les rapprocher.

 

Marc PRIALNIC Sans titre

L’œuvre de Marc Prialnic se développe depuis toujours autour de la trace et de la mémoire. De tableau en tableau, depuis quelques décennies, se répètent les mêmes rituels. Dès la préparation du support, Prialnic signifie le temps : panneau de bois depuis toujours, assemblé de planches de récupération, méticuleusement choisies pour les stigmates que portent leurs bois et préparés avec le plus grand soin. Prialnic use, ponce et interroge les traces du bois, ses stigmates, sa durée. Dans un travail de lenteur, il creuse sa profondeur, par couches successives d’enduits et peintures amenées dans la plus grande économie de couleurs, en contrastes d’opacités et transparences qui exaltent le dialogue de l’ombre et de la lumière. Mais qui est donc l’énigmatique et ancienne figure dont le seul profil se répète, griffé dans la délicatesse de l’huile et de ses glacis, comme une  trace obsédante, étrange

incantation, médaille, «chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre» (Verlaine)? Serait-ce un avatar du Roi des Aulnes que, dans un travail antérieur Marc Prialnic a longtemps poursuivi dans la «Forêt du Dedans»? Ou Chronos lui-même, sans regard, qui balaie inlassablement les êtres et les choses ? Ou encore l’apparition d’un fantôme inscrit dans l’âme du bois et que l’artiste parviendrait à exorciser ? L’énigme restera entière et obscure comme le sont les forces de l'inconscient.

 

Jean Paul SOUVRAZCrepuscule

 Il y a du bruit dans l’œuvre polyphonique de J-P Souvraz, et quel contraste avec le recueillement introspectif de Prialnic ! La couleur éclate tandis qu’on entend d’étranges créatures conduire un carnaval truculent. Souvraz, raconte des fables mais, malicieusement, ne donne pas la clef de l’histoire ! Y en a-t-il une, d’ailleurs ? Le fil de la raison se rompt sitôt tentée l’explication, ou plutôt, il s’emmêle en une inextricable pelote.  Les « personnages » de Souvraz vous sautent à la figure: tons vifs, interpénétration de l’animal et de l’humain, tous et tout se mélange au premier regard. Mais, passé ce premier choc, on s’imprègne d’une folle et singulière représentation, et on plonge  dans le fantastique, le stupéfiant.   

Souvraz ne s’embarrasse pas de raffinements: ses couleurs sont violemment contrastées, cernées de noir. Il écoute les forces primaires, animales, qui agitent les êtres. Sa peinture est crue, ses figures  taillées à coups de serpe.  Pourtant, souvent la tendresse affleure : « mes bêtes ne mordent pas, elles ne sont pas créées pour faire peur » dit-il.

L’univers de Souvraz est profondément  ancré  dans sa terre du  Nord. Carnavals, mascarades, ses masques aux yeux vides côtoient Breughel l’ancien, James Ensor, Max Beckmann, tandis que la crudité de ses scénettes évoque le bestiaire médiéval qui orne vitraux et tympans des cathédrales. Ces cousinages, s’ils existent, ne l’enferment pourtant pas dans un des courants qui ont traversé la modernité. A force de fouiller particulièrement l’infra humain dans sa plus grande singularité, Jean Paul Souvraz s’est depuis longtemps déjà, réconcilié avec l’espèce humaine. Mais son œuvre nous suggère qu’il n’en sera pas la dupe!